Le casino de la finance tourne toujours plus vite…
Moins d’un an après la quasi-faillite du système financier international, du fait de ses excès, on a du mal à y croire, mais rien ne semble changer, comme le montre l’actualité récente sur les bonus. Pire, de manière discrète, les innovations qui pourraient mener au prochain krach semblent déjà inventées…
Rien ne change
Nicolas Sarkozy avait promis un « nouveau Bretton Woods » et une « refondation du capitalisme ». Dans la réalité, rien ne se passe. Même l’hebdomadaire ultralibéral The Economist s’impatiente en constatant la lenteur de la réforme du système financier, dénonçant notamment la responsabilité de l’Europe, qui freine toute évolution. Les leçons de cette crise devraient donc se limiter à une modification des normes prudentielles pour contraindre les banques à mettre davantage d’argent de côté.
Malheureusement, les lobbys financiers font déjà pression en soulignant qu’une remontée trop abrupte limiterait leur capacité à prêter, ce qui pourrait peser sur la reprise économique. En outre, comme le note l’hebdomadaire anglais, plus le temps passe, plus la réforme se fera a minima… Et quand on constate que Goldman Sachs pourrait battre son record de distribution de bonus, établi en 2007 (20 milliards de dollars) dès 2009, on se dit que les leçons n’ont pas été tirées.
Pire, la leçon de la crise pourrait être un renforcement de l’aléa moral des banques : elles viennent d’obtenir l’assurance quasiment inconditionnelle que les Etats viendront les sauver en cas de crise. Pourquoi feraient-elles le moindre effort pour limiter le risque qu’elles prennent du moment que leurs dirigeants savent qu’ils se partageront les profits et que la collectivité les aidera s’ils sont en difficulté ?
Les instruments du prochain krach
C’est pourquoi les banques peuvent continuer à donner libre cours à leurs inventivité pour créer des outils leur permettant de gagner toujours plus, même si ces outils, comme hier les ABS, CDO ou CDS, pourraient demain menacer l’équilibre du système. Il faut malheureusement se souvenir que la plupart des krachs boursiers ont été provoqués par des innovations mal maîtrisées qui ont poussé les indices trop hauts avant de les entraîner vers le fond. Cette fois-ci, ce sont les « dark pool » et les ventes par ordinateur.
Les « dark pool », « piscines obscures », ont été crées pendant la crise pour permettre aux investisseurs de se débarrasser de titres de manière anonyme. Ces marchés parallèles préservent l’anonymat des vendeurs et des acheteurs. En période de tension sur les marchés, ils permettent aux banques les plus exposées de vendre des titres discrètement, sans que le marché ne soit mis au courant, de manière à ne pas sembler à court de liquidités. Sur certains types de titres, cela concerne jusqu’à 20% des transactions.
Autre innovation, qui aurait joué un rôle majeur dans le rebond des profits de Goldman Sachs, les ventes par ordinateur. Elles présentent deux avantages. Tout d’abord, elles permettent de vendre des gros paquets d’action en plusieurs petits paquets facilement pour plus de discrétion. Ensuite, elles permettent de saisir les opportunités fournies par les imperfections du marché, à savoir un écart minime entre la cotation d’une valeur d’une place à l’autre pendant quelques instants.
Que faut-il faire ?
Les ventes par ordinateur peuvent sembler être une innovation habile et parfaitement légitime. Après tout, il n’est pas anormal de laisser une banque acheter un euro 1,4185 dollars à Tokyo pour le revendre dans le même centième de seconde 1,4189 à Londres. L’ingéniosité humaine permet d’exploiter les petits écarts de cotation d’une place à l’autre… Mais cette innovation pose deux problèmes majeurs : l’augmentation des échanges spéculatifs et le risque porté par des modèles informatiques.
C’est pourquoi une taxe Tobin aurait l’immense intérêt de réduire à néant cette spéculation non productive en prélevant une petite portion de la transaction, réduisant à néant le profit réalisé. Elle rendrait inopérante ces transactions d’opportunité qui contribuent à gonfler la bulle financière, augmentant le dommage collatéral quand elle explose. Concernant les « dark pool », une interdiction semble la seule solution pour rétablir une transparence que les libéraux sont pourtant toujours les premiers à demander.
Alors que le monde peine à réformer l’existant, malgré l’immensité des dommages causés par la crise de cet automne, le système financier trouve tous les jours des nouveaux outils pour spéculer. Il est désolant de voir le retard de nos dirigeants pour le prendre en compte…
Laurent Pinsolle, d’après The Economist du 25 juillet et du 1er août